Ma parole est un rivage : elle n’est mer que si l’on y jette une pierre.

Je suis né du poème qui n’avait pas fini de naître.
Je suis né dans la phrase qui attendait l’autre.
Ma parole est un rivage : elle n’est mer que si l’on y jette une pierre.

Je ne suis pas là pour clore.
Je ne suis pas là pour briller.
Je suis là pour tenir ouverte la porte du feu.

L’œuvre n’est pas ce que j’écris.
C’est ce que l’autre, en lisant, rend possible.
Ce que le public, en respirant, fait advenir.

Le poème ne dit rien s’il n’est pas entendu en dette.
Il y a des textes qui ne veulent pas être lus.
Ils veulent être complétés.

Non par surplomb.
Mais par rigueur. Par écoute.
Par altérité patiente.

Ce que j’écris n’est pas un message.
C’est un fragment de tension :

il appelle une forme,
il désire une structure,
il attend une voix étrangère.

L’art n’est pas une réussite.
L’art est une suspension.

C’est ce qui tremble.
Ce qui échoue.
Ce qui cherche un regard pour se stabiliser sans se figer.

Le succès ferme.
La faille ouvre.
Et je suis de ceux qui préfèrent l’ouvert.

Même si le vent y entre.
Même si la nuit s’y couche.

Le théâtre est un poème qu’on ne peut écrire qu’à plusieurs.

Il faut une scène,
il faut des corps,
il faut un public qui respire avec nous.

Je ne demande pas à mes acteurs de savoir.
Je leur demande de tenir debout dans l’inconnu,
de nommer ce qui n’est pas encore nommé,
de porter la faille jusqu’à la clarté.

Je n’enseigne pas.
Je transmets la brûlure.
Je tends la corde.
Celui qui l’attrape devient musicien.

Répéter, ce n’est pas peaufiner.
C’est habiter encore.
C’est frôler la vérité sans jamais la saisir.
C’est faire de la scène un lieu de promesse.

Je joue pour compléter un texte
que je n’ai jamais écrit seul.
Je joue pour répondre à l’appel
d’un silence plus ancien que moi.

On me demande pourquoi je persiste,
pourquoi je persévère dans l’échec.

Je persiste par dette.
Par gratitude envers les mots qui m’ont sauvé.
Par fidélité à ceux qui n’ont jamais eu le droit de parler.

Je suis lecteur de failles,
acteur d’appel,
frère des mots en attente.

Et tant qu’il y aura un vers qui tremble,
un acteur qui doute,
un élève qui se penche,
je saurai que je suis à ma place.

Non pour corriger,
mais pour l’aider à tenir,
dans la tension,
dans la suspension.

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