Le spectateur est assis. L’acteur est debout.
Le spectateur a toujours été assis. L’acteur a toujours été debout. Et pas uniquement debout, mais verticalisé. Les acteurs antiques portaient des cothurnes, sorte de sandales à hauts talons qui les grandissaient, et des masques qui non seulement projetaient leur voix mais augmentaient leur stature en prolongeant le sommet de leur visage vers le haut.
Etre assis est un besoin du spectateur afin que son cerveau soit disponible pour recevoir, soit par les yeux soit par les oreilles et par les quatre si possible.
L’acteur debout est un besoin pour que le spectateur reste éveillé et prêt à le voir bondir vers un côté ou vers l’autre, voire même à chuter au sol, terrassé par les dieux ou par l’amour.
Nous retrouvons presque la même disposition dans nos écoles et collèges, avec les élèves assis et les professeurs debout.
D’ailleurs l’étymologie de « professeur » est intéressante : PRO – FEMI. C’est-à-dire celui qui parle en public. Dans les écoles, l’élève attend d’apprendre de celui qui parle face à lui. Un acteur (action) serait donc mécaniquement un professeur qui agit. En d’autres termes, qui joint le geste à la parole.
C’est un point très important, car historiquement la naissance du théâtre se produit lorsque le récit passe de sa forme contée (parole, écoute, auditif) à sa forme jouée (action, regard, visuel).
Au théâtre, le public ne vient pas pour apprendre. Mais il est animé d’un désir de découverte, de surprise, de plaisirs. Ce désir du spectateur donne une mission à l’acteur, au comédien : si monsieur organise sa soirée, se déplace, vient au théâtre et paie sa place, l’acteur porte la responsabilité de le payer de tout son art en retour. Une responsabilité d’ordre interpersonnel, presqu’émotionnelle, parfois psychique.
L’une des conséquences de cette responsabilité se matérialise dans le besoin de performance. La performance étant définie comme un exploit ou réussite remarquable en un domaine quelconque. Pour le dire de façon simple, nous allons au spectacle pour voir des personnes faire des choses que nous ne nous sentons pas capables de faire. La performance de l’acteur n’est pas celle de l’illusionniste, du danseur ou du chanteur d’opéra. La plupart du temps, quand à la fin du spectacle les spectateurs viennent féliciter le comédien, ce sont souvent les deux mêmes habiletés qui sont mises en avant : la voix et la mémoire. « Vous avez une très belle voix ». Et surtout « Comment vous faites pour retenir tous ces textes? Quelle mémoire ! ». L’autre habileté, bien entendu, mais qui nécessite plus d’arguments et de mots (pour ainsi dire, plus de connaissances de la part du spectateur), est celle d’interpréter un personnage. De donner vie ou de rendre crédible et convaincante une idée. Mais lorsqu’on développe davantage, par exemple lorsqu’on invite des non-pratiquants à monter sur scène ou à joindre un groupe, s’exprime la véritable et profonde performance du comédien : « jamais je n’oserai parler debout devant tous ces gens ».
L’acteur debout.